À la tête de la start-up française de télémédecine Rofim, Émilie Mercadal se fixe un objectif ambitieux : en finir avec l’errance diagnostique.

"Quel impact mes décisions vont-elles avoir in fine sur le patient ?" Voilà une question qu’Émilie Mercadal se posait sans cesse lorsqu’elle travaillait pour un laboratoire pharmaceutique international. Après des débuts chez Bpifrance et un parcours dans l’industrie pharma, elle se rêve directrice d’hôpital. Si elle est très attirée par l’École des hautes études en santé publique (EHESP) de Rennes, son ami chirurgien David Bensoussan lui fait une proposition alléchante : "Si tu rejoins Rofim, tu deviendras la directrice du plus grand hôpital numérique." En 2019, elle décide de rallier l’aventure lancée quelques mois auparavant.

Diffuser les expertises

Envoyer de l’imagerie médicale par WhatsApp, coursier ou déplacer le malade, qu’auriez-vous choisi pour demander l’avis d’un expert ? C’est le choix cornélien face auquel s’est trouvé le chirurgien vasculaire David Bensoussan en sollicitant ses anciens chefs de service. Pour assurer le trajet entre les hôpitaux d’Aix-en-Provence et de Marseille, il a dû faire appel à un coursier, faute de solutions digitales sécurisées.

"Si tu rejoins Rofim, tu deviendras la directrice du plus grand hôpital numérique"

De là éclot l’idée de Rofim. Le docteur Bensoussan s’appuie sur une armée de développeurs et un comité scientifique pour créer un produit pilote et une communauté médicale. Émilie Mercadal, quant à elle, structure le business model. L’ambition est claire : délivrer un diagnostic plus rapidement aux patients. Un crédo qui ne passe pas inaperçu auprès des filières "maladies rares" de la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Elles contactent la start-up afin de développer un module de réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), obligatoires dans le suivi des cancers et des maladies rares. L’établissement à l’initiative des réunions est alors le seul à souscrire à un abonnement dont tous bénéficient.

En plein développement, Rofim se diversifie au gré des besoins de ses utilisateurs et des évolutions réglementaires. Dans le cadre du remboursement de la téléexpertise par l’Assurance maladie, mis en place en France en 2019 afin de valoriser l’échange entre deux praticiens sur un cas patient, le médecin "requérant" est indemnisé de 10€ et le médecin "requis" de 20€ par acte de téléconsultation, dans la limite de 4 actes par an et par patient. La plateforme propose ainsi aux médecins un outil du quotidien, utile pour "étendre leur réseau, mieux traiter les cas patients tout en étant rémunérés", indique Émilie Mercadal. Début 2020, en pleine crise Covid, Rofim lance son module de téléconsultation à la demande de ses clients pour continuer à suivre leurs patients, à distance.

À la tête d’un "immense hôpital"

Avec un réseau de 765 établissements et plus de 25 000 médecins connectés, Rofim représente une communauté de praticiens inédite. De Marseille aux Antilles françaises, en passant par la Guyane, le Maroc et la Côte d’Ivoire, Émilie Mercadal immisce la télémédecine dans les territoires les plus démunis. Une mission qui s’étend parfois jusqu’à la recherche de financements. N’allez pas croire pour autant que le digital lèse les échanges. À l’unanimité, les utilisateurs saluent une plateforme ludique et "conviviale". Une réussite pour Émilie Mercadal qui insiste sur le fait que "l’objectif n’est pas de remplacer les humains mais simplement les connecter d’autant plus".

"L’objectif n’est pas de remplacer les humains mais simplement les connecter d’autant plus"

Pour consolider le modèle, la start-up s’appuie sur un comité scientifique de 34 praticiens couvrant toutes les spécialités médicales. "Le vendredi est consacré au dialogue, au partage et aux doléances, les médecins s’assoient à côté des développeurs pour améliorer les process et les fonctionnalités de la plateforme", précise Émilie Mercadal. Un fonctionnement unique qui a notamment permis de mettre en place la visualisation 3D des imageries et de connecter l’ensemble des échographes du marché à la technologie Rofim pour envoyer des images en un clic. Mais ce n’est pas tout. Les multiples partenariats avec des start-up, telles que Lifen, ou des industriels, comme Samsung Healthcare et GE Healthcare, confèrent à la plateforme une interconnexion sans faille avec son écosystème. 

Par ailleurs, Rofim dispose d’une charte RSE minutieuse et conforme aux KPI de son investisseur historique, Orange Ventures Impact, qui lui permet, entre autres, de comptabiliser les kilomètres évités par les malades grâce à la téléconsultation.

L’émulation de la plateforme sert jusqu’aux proches des patients en réanimation. La ligne d’écoute "Famille réa", un partenaire de Rofim, tient au courant les aidants sur l’état des malades grâce à un personnel formé par l’hôpital. L’équipe soignante est soulagée et le traçage des échanges répertoriés dans le logiciel dédié. Preuve de son potentiel, Rofim fait partie de la première promotion de l’incubateur Future4care, où elle dispose de bureaux parisiens. Un appui qui lui permet de s’élever dans un milieu ouvert et collaboratif. Dernièrement, la start-up a même été sélectionnée pour le Prix Galien, qui récompense l’innovation en santé sous toutes ses formes et dont les résultats seront dévoilés en décembre prochain.

Si son objectif de toujours est de "disrupter le monde de la santé", Émilie Mercadal s’attache également à transmettre son expérience

La transmission dans l’âme

Si son objectif de toujours est de "disrupter le monde de la santé", Émilie Mercadal s’attache également à transmettre son expérience. Des collégiens et lycéens des quartiers nord de Marseille aux entrepreneurs du Réseau Entreprendre, ses interlocuteurs sont variés. Vice-présidente de la French Tech d’Aix-Marseille, elle intervient également auprès de l’association "100 000 entrepreneurs", son ancienne prépa et son école de commerce. Une façon de "renvoyer l’ascenseur", selon ses mots. Fin 2022, elle participe à la création du fonds de business angels, Neo founders avec une vingtaine d’anciens camarades de l’école de commerce Neoma, dont Ilan Benhaim, le cofondateur de Veepee ou encore Sandrine Conseiller, directrice générale de la marque Aigle. "De quoi renverser son syndrome de l’imposteur lorsque l’on n’a pas fait une école de commerce parisienne", précise-t-elle. Son omniprésence dans le monde entrepreneurial et le secteur de la santé la mène à intégrer le Club de réflexion des 30 femmes leaders en santé, lancé par Kahina Senhadj du cabinet RH Strammer. Et si vous vous demandez où elle trouve le temps de mener tout ça de front, la réponse se niche dans son temps de sommeil. "Quatre heures par nuit depuis l’enfance", une spécificité probablement nécessaire pour développer des activités d’une telle ampleur. Ce mois d’octobre, Rofim célèbre ses 5 ans.

Léa Pierre-Joseph