Avec plus de 560 entreprises adhérentes, le Snitem est la première organisation représentative en France des entreprises du secteur des dispositifs médicaux. Parmi ses missions, informer, accompagner ses adhérents et assurer un dialogue cohérent avec les pouvoirs publics. Rencontre avec François-Régis Moulines, son directeur des affaires gouvernementales, pour présenter les dimensions réglementaires et économiques de ces produits de santé.

Décideurs. Pouvez-vous nous décrire en quelques mots le secteur des dispositifs médicaux, ainsi que l’impulsion du digital en la matière ?

François-Régis Moulines. Ces dispositifs médicaux (DM) vont diagnostiquer, contribuer à sauver des vies et améliorer la qualité de vie des patients, y compris des personnes en situations de handicap. Il s’agit d’un secteur extrêmement innovant, composé à 93 % d’ETI et PME, qui recoupe des sous-secteurs aussi nombreux que variés. Les DM englobent les équipements de réanimation, toutes sortes de prothèses, jusqu’aux lunettes. Le défi consiste à s’adapter aux profils de ces patients et aux professionnels de santé qui seront amenés à manier ces dispositifs. Dans un acte de chirurgie, par exemple, le geste de l’opérateur est aussi important que la qualité du produit lui-même. Particulièrement dans le domaine du dispositif implantable, où les séries de fabrication sont peu élevées en nombre, de l’unité pour un DM sur mesure, à quelques centaines de milliers d’exemplaires pour de petites "populations cibles" de patients. De fait, le nombre de référencements doit s’adapter aux différents profils des utilisateurs, patients comme professionnels de santé. En conséquence, les coûts de fabrication ne sont jamais marginaux.

"Nous sommes aujourd’hui dans une impasse : les entreprises sont prêtes mais le système ne l’est pas"

La combinaison avec le numérique multiplie la force de frappe des DM. Cette transition vers un dispositif médical digital est déjà bien amorcée. De fait, un nombre croissant de ces produits, implantables ou non, sont désormais communicants. De nouveaux modes de prise en charge sont mis en place, dont la télésurveillance médicale. Entre autres, la connexion des DM permet une meilleure connaissance et maîtrise des coûts associés aux soins.

Depuis le 26 mai 2021, le nouveau règlement européen relatif aux dispositifs médicaux est en vigueur. Quel rôle joue le Snitem dans ce qui s’annonce comme un bouleversement ?

Le Snitem informe le plus en amont possible ses adhérents sur les retombées des évolutions du cadre législatif. À ce jour, ce nouveau règlement renforce, non seulement les exigences en matière de dispositifs médicaux, mais rehausse également les exigences demandées aux organismes notifiés pour évaluer les DM en vue de la délivrance d’un marquage CE. Alors que la mise en application de ce règlement a commencé le 26 mai 2021, une des exigences est d’évaluer l’ensemble des produits déjà en circulation, d’ici à mai 2024. Il s’agit d’un défi colossal et nous sommes aujourd’hui dans une impasse : les entreprises sont prêtes mais le système ne l’est pas. Il s’agit en réalité d’une pénurie de ressources réglementaires qui affecte la capacité des organismes certifiés. Aujourd’hui, 24000 certificats de marquage CE sont encore à revoir, en vue d’examiner leur conformité au nouveau règlement. Or, à peine 1100 ont été réévalués jusqu’à présent et les délais d’attente pour une évaluation sont d’environ 18 mois.

Cette impasse n’est pas anodine. Par exemple, pour un certificat délivré avant le nouveau règlement en 2017, la durée de vie de son marquage CE peut aller jusqu’à cinq ans. En 2022, ce certificat n’est donc plus valable et les produits concernés ne peuvent donc plus être mis sur le marché. Alors que le produit et ses multiples canaux de distribution fonctionnent comme ils le devraient, le risque de rupture augmente.

"Les DM innovants disposent d’un temps d’exclusivité réduit, d’environ 3 ou 4 années"

Le Snitem a alerté les autorités françaises, et ces dernières nous ont réellement écoutés. La France a pris une position claire en vue de surmonter cette situation. Mais il reste désormais à trouver rapidement des solutions avec la Commission européenne et les autres États membres de l’UE. À ce titre, le Snitem a annoncé plusieurs pistes d’actions. Nous proposons tout d’abord de reporter la période de transition, en maintenant une continuité de mise sur le marché. Cela permettrait, entre autres, aux organismes notifiés d’avoir plus de temps pour absorber le nombre de produits à réévaluer, tout en consolidant dans le même temps la capacité réglementaire de ces organismes. Ensuite, utiliser au mieux les ressources disponibles s’opère de plusieurs façons, dont la surveillance appropriée des produits existants, la délivrance de certificats sous conditions, la reconnaissance de tous les paramètres pertinents pour l’évaluation clinique comme les données post-marché et d’équivalence, la simplification des processus de consultation, ou encore l’établissement de règles spéciales pour les produits de niche.

Pourriez-vous nous présenter les enjeux économiques de ce secteur ?

Cette transition vers la conformité au nouveau règlement de l’UE entraîne une forte tension sur l’écosystème de ces produits de santé. Alors que l’on parle d’une "reprise" post crise sanitaire, cette croissance s’esquisse en trompe-l’oeil dans la mesure où nous partions d’une décroissance du secteur des DM en 2020. Sans compter l’explosion des coûts des matières premières, ainsi que ceux afférents au transport et à l’énergie, que le secteur subit également. À cela s’ajoutent des coûts en matière de composants électroniques, puisque les DM peuvent en comporter en grand nombre. Cependant, comme il s’agit d’un secteur dont les prix sont en majorité administrés, comme en atteste la liste de remboursement des produits et des prestations (LPP), les entreprises ne peuvent pas, à la différence de la plupart des autres secteurs d’activité, répercuter ces coûts sur les patients. C’est pourquoi nous avons besoin d’une décision politique qui prenne en compte ces éléments conjoncturels.

En outre, de façon structurelle, les fabricants doivent intégrer un modèle de régulation économique qui leur soit propre. Par opposition aux nouveaux médicaments, qui disposent d’une exclusivité de marché relativement longue après l’autorisation de mise sur le marché (AMM) et avant que la molécule ne soit "génériquable", les DM innovants disposent d’un temps d’exclusivité réduit, d’environ 3 ou 4 années, avant que n’arrivent leurs premiers concurrents sur le marché. À cette échéance, une autre entreprise propose un produit similaire. À ces coûts revus à la hausse, s’agrège une montée en puissance des régulations budgétaires en France, en particulier depuis 2016. Si bien que les efforts d’économies demandés au secteur à travers essentiellement des baisses de prix sont devenus de plus en plus lourds, avec des prix constamment orientés à la baisse en dépit d’évolutions technologiques graduelles qui améliorent la prise en charge des utilisateurs. Aujourd’hui, on arrive à la limite de cette logique. Le modèle de régulation des DM doit être revu. Il faut trouver un nouveau modèle de régulation, plus juste, plus proportionné et soutenable pour les entreprises. À ce titre, nous attendons donc avec la plus grande vigilance le prochain Projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Propos recueillis par Alexandra Bui