Au-delà des chatbots, l’IA générative ouvre de nouvelles perspectives dans le secteur de la santé, notamment pour la recherche. Yann Gaston-Mathé, fondateur et CEO d’Iktos, présente les accélérations au profit de candidats-médicaments.

En quelques mots, pourriez-vous nous présenter Iktos ?

Nous sommes une société digitale qui développe des technologies d’intelligence artificielle pour aider à la découverte de nouveaux candidats-médicaments. Nos logiciels d’IA générative permettent aux chercheurs de trouver plus rapidement des molécules qui correspondent à leur cahier des charges et par ce biais d’accélérer la recherche.

Vos modèles d’IA proposent des molécules aux chercheurs. À quelle fin ?

En s’appuyant sur les propositions de l’IA générative, les chercheurs gagnent en créativité, en productivité, en temps et atteignent de plus hauts taux de succès. Pour vous donner un ordre d’idée, nos modèles d’IA peuvent générer et évaluer en quelques heures des dizaines de millions de molécules. À partir d’un cahier des charges, celles-ci sont générées, non pas au hasard, mais selon des modèles prédictifs portant sur l’activité biologique de la cible, ses propriétés physico-chimiques et pharmacocinétiques. Ils sont également capables de concevoir des molécules brevetables car totalement nouvelles. Ceci est d’autant plus important en chimie médicinale où la compétition est parfois considérable.

Concrètement, pourriez-vous nous décrire une de vos missions ?
À nos débuts, nous avons amorcé une collaboration de type POC ("Proof of concept") avec le groupe Servier. Pour ce projet, le laboratoire cherchait à identifier une molécule remplissant onze objectifs distincts, tels que l’activité, la stabilité métabolique ou encore la perméabilité cellulaire. Malgré des années de synthèse et de tests, ils n’arrivaient pas à trouver de molécule conciliant ces différentes exigences. Leur meilleure molécule ne remplissait que 9 objectifs sur 11, ce qui donnait l’impression que certains objectifs étaient incompatibles entre eux.

"Il est nécessaire d’accélérer ce qu’on appelle le cycle du DMT ["design-make-test"]"

Servier nous a donc confié les données qu’ils avaient générées dans le projet. À partir de leurs data, nous avons construit des modèles de machine learning prédictifs. En trois mois, nous avons trouvé plusieurs molécules supposées remplir tous les objectifs. Servier a choisi une dizaine de molécules qu’ils ont ensuite synthétisées et testées, et ont trouvé parmi celles-là une molécule répondant parfaitement à leur cahier des charges.

En plus de l’IA, vous avez récemment amorcé une plateforme robotique. Dans quelle optique ?

Si l’IA permet de gagner du temps dans la conception des molécules, encore faut-il les fabriquer et les tester. À travers nos expériences avec les laboratoires, nous avons constaté un goulot d’étranglement, souvent imprévisible, dans la synthèse des molécules. Il peut s’écouler trois à quatre mois entre le moment de la génération de molécules par Iktos et la réception des données expérimentales après synthèse et tests. Ce délai est un frein majeur à l’accélération de la recherche.

Pour gagner en efficacité, il est nécessaire d’accélérer ce qu’on appelle le cycle du DMT ["design-make-test", en français, conception, fabrication et tests, ndlr]. C’est le but de notre plateforme Iktos Robotics, qui combine IA générative, IA de rétrosynthèse et robots de synthèse, pour synthétiser le plus rapidement possible les molécules générées par IA. On gagne ainsi un temps précieux sur la réception des nouveaux points de données, à partir desquels s’s’enclenche un nouveau cycle de génération.

"Notre IA ne change rien aux molécules, ni à la manière dont elles vont être évaluées"

Notre objectif, avec cette plateforme, est de diviser par deux la durée d’un cycle DMT. C’est-à-dire de passer de trois à quatre mois à six semaines. Et ce, en réduisant les coûts, grâce aux gains de productivité permis par l’automatisation de la synthèse. L’IA couplée à des robots divise la durée de la recherche de candidats-médicaments par deux.

Le tout, sans se passer de l’humain ?
L’IA ne peut pas se passer de pilote. À chaque étape, les résultats générés sont revus par un expert. Toutes les molécules prédites par l’IA, et toutes les voies de synthèse imaginée par elle, sont revues et sélectionnées par des scientifiques. Notre but n’est pas de remplacer l’humain, mais de développer des briques technologiques pour que la contribution humaine soit focalisée sur les tâches à forte valeur ajoutée.
Enfin, si l’IA réduit les délais et les coûts de l’identification d’un candidat-médicament, celui-ci sera évalué comme n’importe quel autre candidat-médicament. Notre IA ne change rien aux molécules, ni à la manière dont elles vont être évaluées dans le parcours traditionnel d’essais précliniques et cliniques. Nous évitons ainsi tout problème éthique.

 Propos recueillis par Alexandra Bui